Alexandra est formée à l’accompagnement de la haute sensibilité par l’Observatoire. Son travail d’accompagnement des enfants, dans toutes leurs singularités, est une inspiration éclairante, cultivant avec soin et allégresse la richesse du vivant sensible et dessinant des lendemains plus conscients et plus sensibles.

 

L’automne est bien là. La pluie, les feuilles, le gris du ciel, mais aussi le canapé et son plaid, les pulls épais et doux nous tenant bien chaud, les bons petits plats. Chaque saison est propice à des moments de vie si particuliers, mettant nos sens en éveil.

En parlant de sens, je reçois ce mois-ci Florian Billebault, un sacré phénomène, à l’image des réponses qu’il va nous livrer dans cette interview. Nous nous sommes rencontrés grâce à l’association Surdouessence. J’ai découvert sa haute sensibilité lors de nos nombreuses discussions. Il m’a donc paru naturel de lui proposer de répondre à mes questions, d’autant plus que c’est toujours un réel plaisir de lire des hommes qui parlent de leur grande sensibilité.

 

1. Petite présentation

Prénom : Florian, alias Léon

Nom : Billebault

Âge (si tu en as envie) : 38 ans

Profession : Ingénieur informatique

  1. Quand as-tu pris conscience de ta haute sensibilité et quelles en sont les principales caractéristiques ?

J’ai pris conscience de ma haute sensibilité assez tôt, aux alentours de neuf ans. Les principales caractéristiques étaient alors une timidité excessive (envers les filles seulement), une hyperémotivité toujours pratique pour se taper l’affiche à chaque visionnage d’une scène triste de film 😉 mais aussi une capacité à ressentir les émotions ou l’état d’esprit des autres (à l’époque, ce n’était vraiment pas clair pour moi ça, mais ça fonctionnait !).

Je me dois de préciser que je parle de ces caractéristiques au passé, car à l’âge de 13 ans je me suis créé (afin de me protéger de pas mal de choses, l’adolescence c’est compliqué 😉 un alter ego bien plus perfectionné et qui n’avait plus ces limitations (plus de timidité, contrôle des émotions, et j’ai gardé le ressenti des émotions des autres), auquel j’ai ajouté l’humour et la répartie en bonus.

À l’époque, je pensais aussi que la plupart des gens étaient des brutes, ou manquaient de quelques capacités de réflexion, je mettais tout ça dans le lot de ma personnalité sans distinction avec la sensibilité. Je ressentais plus, et eux visiblement moins, ce qui me semblait être un facteur limitant pour eux. L’avantage d’un facteur limitant, c’est que quand on n’en a pas conscience, eh bien… il limite, mais on s’en tape !

Je découvrirai plus tard que l’hyperacousie et l’hyperosmie font aussi partie du bundle ! Et autant le second était évident depuis l’enfance, autant le premier aura été difficilement détectable à cause de la semi-surdité causée par de trop nombreuses années bercées d’otites et de paracentèses 😉

 

  1. As-tu des souvenirs d’école ou de vie avec les autres, bons ou moins bons, liés à ta haute sensibilité ?

Très peu de bons souvenirs, malheureusement, je me suis longtemps évertué à ne me rappeler que le plus mauvais. Parmi les mauvais souvenirs, toutes ces railleries, et tous ces moments vécus comme une humiliation, quand ce n’en était même pas forcément.

La plupart de ces moments proviennent de la différence de maturité, ajoutée à l’effet de groupe, où des adolescents peuvent faire subir leur propre mal-être à quelqu’un qui leur semble différent. Rien de bien inhabituel en somme, bien que ce soit détestable.

Pour les souvenirs de vie, et malgré le contrôle, il y a toujours tous ces moments de films ou de séries, ressentis comme réels et qui provoquent l’incompréhension générale des gens autour qui s’aperçoivent de mes émotions. Aujourd’hui, c’est principalement l’incompréhension de mes enfants à qui je peux me permettre d’expliquer la « normalité » de la chose, d’autant que ça leur arrive aussi !

 

  1. Qu’aurais-tu aimé avoir ou faire à l’école afin de mieux vivre ces temps de classe et de pouvoir explorer pleinement ta sensibilité ?

Rien ! Tout ce que j’aurais pu vouloir faire, j’ai pu le faire pleinement via mon alter-ego, par la suite, pleinement libéré et mieux dans ma peau. Éventuellement, j’aurais aimé recevoir le conseil de répondre aux vannes avant de créer cet alter-ego, qui le fut en moins de 8h (aucune idée de ce qui a pu se passer, ce n’était pas la première fois qu’on me disait de répondre pourtant). Mais sans avoir vécu ces moments, aurais-je été aussi complet à ce moment, et aujourd’hui ? J’imagine que cela a été formateur d’une certaine façon, et bien que je n’aie absolument rien oublié, j’en remercierais presque les abrutis (de l’époque), garçons ou filles qui ont partagé ma classe par le passé 😉

Finalement, positifs ou négatifs, tous ces instants font partie intégrante de l’exploration de notre sensibilité, il serait regrettable de ne pas les vivre ou de les vivre de manière atténuée.

 

  1. As-tu des conseils à partager afin d’être un hypersensible heureux ? 

J’ai toujours vécu tout cela seul, sans me confier à qui que ce soit, et il est possible que ce ne soit pas la meilleure idée que j’ai eue. Après tout, l’isolement est rarement une bonne idée. Mais quitte à être trahi un jour (car quelle meilleure époque que celle-ci pour une bonne trahison ?), je crois qu’il vaudrait quand même la peine de partager cela au moins à deux. Et puis quel adolescent à cette époque n’a pas besoin d’une épaule finalement ?

Excepté cela, je n’ai malheureusement pas de réelle solution ou conseil… Il semble que j’ai bénéficié d’une remise en question hyper rapide et d’un déblocage à cet instant. Pas certain que ce soit répétable par d’autres personnes, mais ça ne coûte rien d’essayer 😉

Sinon, se souvenir que la vie n’est pourrie que du collège au lycée. Principalement parce qu’à l’adolescence, tout le monde cherche à cultiver sa différence quand nous le sommes déjà largement, alors que plus tard, l’employé ou le haut diplômé se doit de rentrer dans le moule de la société et c’est à ce moment que nos différences peuvent véritablement devenir une force.

Ah oui aussi ! On vit une époque où la sensibilité est de moins en moins tabou, ainsi que tout le reste d’ailleurs ! Alors de quoi que soit composée votre différence, on peut en parler publiquement, et maintenant que ces choses sont connues, les parents ont clairement un rôle à jouer dans ces découvertes, que ce soit par la discussion, l’acceptation ou le guidage, quand ils ont été concernés.

 

 

 

Je tiens d’abord à remercier Florian pour la sincérité de ses réponses. Même si aujourd’hui, de plus en plus d’hommes parlent de leur sensibilité, ils sont encore trop peu nombreux. « Quoi ? T’es un mec et tu pleures devant un film ? » ou alors « Tu pleures comme une fille. » sont des réflexions que l’on entend encore, comme si le genre masculin n’avait pas le droit d’exprimer ses émotions sans perdre en virilité. Tout est mélangé. Les émotions sont humaines et n’ont pas de genre. On a même tellement appris aux garçons à les cacher que cela crée chez certains de vrais blocages émotionnels. Cette année, en classe, lorsqu’on regarde un film, ce sont des garçons qui pleurent d’émotion, ce qui me laisse à penser que notre monde change, permettant aux hommes, de plus en plus, d’accueillir et de vivre pleinement ce qu’ils ressentent. Lorsque nous parlons haute sensibilité en classe, ce sont souvent les garçons qui ont du mal à s’y retrouver au départ. Il faut souvent attendre qu’un d’eux ose dire qu’il est très sensible pour que les autres langues se délient. Je ressens alors chez eux un grand soulagement, sous forme d’un soupir ou d’un sourire, comme s’ils se libéraient de quelque chose. J’essaye ensuite d’en parler à leurs parents, afin qu’ils puissent mieux les comprendre et parfois même se comprendre eux-mêmes.

Je trouve ça beau, un homme qui se sent libre de vivre pleinement sa sensibilité, sans peur du jugement extérieur. Je trouve même cela rassurant, car humain. Malheureusement, comme l’a dit Florian, on ressent souvent le besoin de se cacher derrière une bonne et grosse carapace. Certains appellent ça leur alter-ego, comme lui, d’autres le nomment faux-self, ce masque qui nous permet d’être une autre personne aux yeux des autres, et même parfois à nos propres yeux. On se protège, on cache en partie qui on est, on s’adapte. À mes yeux, l’adaptation est nécessaire pour pouvoir vivre en société, que ce soit dans une classe, une entreprise ou même lors d’un déjeuner en famille (les fêtes de fin d’année arrivent 😊). Le premier problème est la suradaptation qui peut conduire à une perte de sens de qui on est et de ce que l’on fait ici. On en arrive parfois à ne plus être nous-mêmes, nous condamnant souvent à nous sentir malheureux, car non alignés. On peut aussi se perdre sous les couches que nous nous sommes mises sur le dos pour nous cacher. Une femme, un jour, a utilisé l’image de l’oignon et de toutes ses couches. Il arrive même qu’à la découverte de sa haute sensibilité, une personne vive une perte de poids importante (ce qui fut mon cas) comme si le corps se sentait enfin capable de ne plus avoir besoin de se cacher, de la même manière sont concernées les personnes qui s’habillent systématiquement 2 tailles au-dessus de la bonne (euh mais je crois que je parle encore de moi).

Je conclurai aujourd’hui en reprenant les mots de Florian : « J’imagine que cela a été formateur d’une certaine façon, et bien que je n’aie absolument rien oublié, j’en remercierais presque les abrutis (de l’époque), garçons ou filles qui ont partagé ma classe par le passé 😉 ». Oui, l’idée est là. Toutes ces difficultés font partie de notre chemin de vie, ce sont elles qui nous façonnent, nous rendent plus forts. Il faut le plus possible faire la paix avec la partie de nous qui a commis des erreurs par le passé. Sans elles, qui serions-nous aujourd’hui ?

J’oserai finir par mes propres mots, écrits il y a peu pour mon cours de théâtre : « Je n’ai aucun regret, j’ai pardonné et même remercié tous ceux qui ont mis des obstacles sur ma route, car sans eux je ne serais pas celle que je suis ».

 

À très vite…

Prenez soin de vous, et aimez-vous.

Alexandra