Alexandra est formée à l’accompagnement de la haute sensibilité par l’Observatoire. Son travail d’accompagnement des enfants, dans toutes leurs singularités, est une inspiration éclairante, cultivant avec soin et allégresse la richesse du vivant sensible et dessinant des lendemains plus conscients et plus sensibles.
La rentrée est passée avec son lot de découvertes, de rencontres, mais surtout de fatigue. C’est fou comme mon corps a besoin de s’adapter à chaque rentrée à tous ces stimuli laissés au repos pendant l’été : le bruit, les néons, les sollicitations incessantes. Mais le plus important est là, la rencontre a eu lieu, celle avec mes élèves (et leurs parents aussi). Tout va bien, l’année promet d’être belle.
Alors pour fêter ça, place à un nouveau parcours d’enfant sensible, et quel parcours, celui d’Alban Bourdy, que j’ai le bonheur de compter parmi mes belles rencontres depuis 3 ans et aussi parmi mes amis.
Alban Bourdy est entre autres écrivain, mais il est aussi le fondateur de l’association Surdouessence et depuis quelques temps co-dirigeant de l’Observatoire de la Sensibilité. La première fois que je l’ai écouté, c’était en janvier 2021 lors de la Journée mondiale de la sensibilité. Il participait à une table ronde en visio. Mon ticket d’entrée à cette table ronde m’a conduite vers l’association Surdouessence. Peut-être qu’un jour je vous raconterai mes premiers pas avec les membres de Surdouessence, qui m’a tant apporté, mais pas aujourd’hui, car il est temps de lire l’interview d’Alban que je remercie encore pour sa participation et sa lumière qu’il diffuse chaque jour parmi nous. On se retrouve juste après.
1. Petite présentation
Prénom : Alban
Nom : BOURDY
Âge (si tu en as envie) : 39 ans
Profession : Écrivain
2 Quand as-tu pris conscience de ta haute sensibilité et quelles en sont les principales caractéristiques ?
Je n’ai véritablement pris conscience de ma haute sensibilité que l’année de mes trente ans. Il n’y a qu’à ce moment-là que j’ai pu mettre un mot dessus, cette révélation s’est produite lorsque l’on m’a parlé d’ouvrages sur le sujet (notamment ceux de Saverio Tomasella). Une fois que ce fut nommé, ce fut accepté et pris comme un fonctionnement avec lequel composer, et un fonctionnement plutôt positif une fois assumé, car haut en couleurs. Pour autant, même si je n’avais jusque-là jamais pris conscience de ma haute sensibilité, j’en constatais les caractéristiques quotidiennement, sans les identifier, et en les pensant des anomalies, des tares à corriger. Et cette croyance qu’il y avait quelque chose à corriger, alors que je ne savais pas du tout comment m’y prendre, était une grande source de stress qui décuplait mon intensité émotionnelle jusqu’à la submersion totale et des états de sidération complètement paralysants. Ces pensées étaient nourries des réactions de rejet, de peur et d’incompréhension que je rencontrais, des réactions qui ont cessé lorsque j’ai accueilli mon fonctionnement ultrasensible sans peur et avec une douceur bienveillante. Jusqu’à mes 30 ans, je n’acceptais tellement pas ma haute sensibilité que je ne pouvais même pas la nommer.
Je dirais que les principales caractéristiques de ma haute sensibilité sont :
– les tremblements et frissons fréquents (peu importe la coloration de l’émotion, son intensité provoque souvent dans mon corps des tremblements et frissons qui sont visibles).
– une forte réactivité aux odeurs et aux sons (intolérance aux odeurs et sons qui sont désagréables – lesquels sont perçus comme des agressions physiques mettant en péril mon équilibre vital, mais aussi délicieuses transes provoquées par ceux étant merveilleux).
– un ressenti physique de ce qui me semble juste ou non dans ce que je pense, dis et fais.
– et aussi un grand désir de communion de cœur avec les autres êtres dans leurs belles singularités.
3 As-tu des souvenirs d’école ou de vie avec les autres, bons ou moins bons, liés à ta haute sensibilité ?
Globalement, mon parcours scolaire a été en montagnes russes. J’ai donc des tas de souvenirs d’école épouvantables et traumatiques, mais j’en ai aussi des très bons.
Un souvenir qui interpelle souvent, c’est que j’ai toujours été nul en sport, systématiquement le dernier de la classe en la matière, et en arrivant en classe de quatrième je me suis retrouvé à avoir la meilleure moyenne. La raison était que la professeure que nous avions alors nous présentait le sport de façon complètement différente de l’habitude. Elle ne notait pas du tout les performances, elle ne notait que le comportement. Et pour elle, le comportement sportif était basé sur les valeurs de solidarité, de loyauté et de respect. Elle contournait toute notion de compétition. Dès lors, pour moi c’était totalement différent et en peu de semaines je me suis mis à affirmer que j’aimais faire du sport (alors que jusque-là ce n’était qu’un supplice duquel je rêvais d’être dispensé, ne serait-ce que pour les odeurs de gymnases et de vestiaires et les bruits assourdissants des jeux de ballon en intérieur).
Il fut un temps où je chantais tout le temps en cour de récréation, la plupart du temps des chansons d’amour. J’avais besoin de cela pour recouvrir quelque peu les cris, les insultes et autres agressions ambiantes. J’avais besoin de cela aussi pour garder le contact avec un monde plus beau, plus sensible. Les conséquences étaient aigres-douces dans l’établissement où j’ai subi du harcèlement scolaire. La plupart des garçons me raillaient, en m’administrant le plus souvent les coups qui vont avec, mais les filles me complimentaient et aimaient venir m’écouter. Il est arrivé des fois où presque toute la cour m’écoutait et j’avais l’impression de changer quelque peu l’atmosphère. Si toutes les filles semblaient ravies, les garçons, jaloux, n’en étaient que bien plus violents envers moi par la suite.
4 Qu’aurais-tu aimé avoir ou faire à l’école afin de mieux vivre ces temps de classe et de pouvoir explorer pleinement ta sensibilité ?
J’aurais aimé que l’on véhicule une autre vision de la masculinité que celle des conquérants, des soldats, des philosophes arrogants et des dirigeants tyrans. Un autre visage de la masculinité, doux, vulnérable, empathique et réfléchi s’est révélé à moi avec Jean-Jacques Goldman, mais dans le cadre scolaire je ne voyais que de la brutalité froide dans les figures masculines évoquées, voire vantées. J’aurais aimé que l’on arrête de nous bassiner chaque jour avec des notions de compétition qui m’étouffaient et que je ne parvenais pas à aborder. J’aurais eu besoin que l’on m’explique que le monde n’était pas cette jungle, cette loi de la domination physique à laquelle visiblement les autres garçons de mon âge se croyaient soumis. J’aurais souhaité des pauses, avec des espaces de calme, des espaces douillets, des espaces de silence possiblement agrémentés d’objets qui lorsqu’ils sont sollicités produisent des sons agréables. J’aurais aimé évoluer dans un contexte de non-stress où on prend le temps de vivre, le temps de sentir la respiration traverser son corps et le contact de ses pieds sur le sol. J’aurais aimé que quelqu’un tire la sonnette d’alarme pour nous exfiltrer de cette asphyxiante pression constante.
J’aurais aimé que tous les espaces de classe soient sécurisants, avec des éclairages doux et beaux, des décors esthétiques et harmonieux, de jolies couleurs, de doux parfums subtils, du mobilier confortable avec des textures moelleuses ne provoquant que des bruits feutrés. J’aurais apprécié que les adultes nous parlent sans crier et qu’ils nous valorisent. En bref, j’aurais aimé que l’on nous révèle la douceur et la tendresse de la vie au lieu de nous révéler du stress, de la peur, de la violence et de la dureté. J’aurais aimé que l’on arrête de nous transmettre une éducation fondée sur une mauvaise lecture de Darwin (la fameuse « loi du plus fort »). J’aurais aimé le matin des instants musicaux avec possibilité de chanter et de danser, et l’après-midi des temps de contemplation (ciel, animaux, végétaux…). Le cerveau a besoin de ces temps de contemplation pour intégrer, quant à la danse et le chant non seulement cela fédère les individus mais ce sont aussi de formidables tremplins d’expression, de développement.
Je terminerais en disant que j’aurais aimé que l’on prenne le temps chaque matin de faire un tour de classe en demandant à chacune et chacun, sans imposer, de s’exprimer sur son humeur, ses ressentis, son vécu du jour. Cela fait fondre les différentes frontières et permet une meilleure compréhension, de l’autre comme de soi, pour plus d’acceptation, de coopération et d’harmonie. Arrêtons de faire taire les enfants. Au contraire, encourageons-les à parler et écoutons-les. Ils ne sont pas des produits d’usine à formater, ils sont des êtres miraculeux à accompagner.
5 As-tu des conseils à partager afin d’être un ou une hypersensible heureux.se ?
S’aimer ! Cultiver la confiance en soi. Je pense tout de suite à Élise Bouskila, invitée de ta dernière chronique, quand il s’agit de rayonner son hypersensibilité de façon épanouie. Rien que de me connecter à sa façon d’être en parlant d’elle me fait ressentir un frisson lumineux. Il est important de se rassurer, de ne pas avoir peur, de ne pas subir, de ne pas rester en position de réception où on éponge, mais de diffuser, d’émettre, de rayonner, de s’exprimer, de transmettre. Le monde sera plus doux, plus juste, plus conscient et plus sensible si nous lui offrons notre haute sensibilité, en toute innocence. Si nous ne le faisons pas, le monde souffrira du manque de ce que nous avons à lui offrir, et alors il pourra nous sembler hostile. Aimez votre sensibilité, écoutez-la, chérissez-la, affirmez-la, partagez-la, elle vous veut du bien, à vous, à votre entourage et à l’ensemble du vivant.
J’espère que vous avez apprécié la lecture tout autant que moi. Je voulais tout d’abord juste dire merci à Alban pour son témoignage, sa sincérité. Merci d’avoir soulevé les manquements de l’école qui pourrait être tellement plus belle.
J’aimerais tout d’abord revenir sur cette « compétition » existant au sein de nos écoles. Les élèves sont souvent définis par leurs notes et non par qui ils sont. C’est ce que je déplore dans notre école de la performance. Il est grand temps que les qualités de cœur, les valeurs humaines, soient remises au premier plan si l’on veut faire évoluer notre société. On peut ne pas être bon en mathématiques et posséder des compétences humaines et sensibles de solidarité, ou alors une grande conscience des enjeux écologiques pour la planète, dès le plus jeune âge. Créer une vraie vie de groupe est très important pour moi. Nous sommes une équipe, une tribu, on s’écoute, on s’aide, on se respecte, on nettoie la classe ensemble, on s’applaudit, on discute, on échange nos points de vue car on vit ensemble. Je m’efforce de créer un lien fort entre eux pour développer cette fraternité et cette solidarité si chères à mon cœur dans cette société trop individualiste à mon goût. Je leur montre que tout le monde a sa place et que chaque pierre apportée par chacun d’entre eux permet de créer une belle construction. Cela commence par une organisation de la classe en îlots pour favoriser l’entraide et le travail en groupe. Il y a aussi de nombreux temps de jeu (pour travailler les maths et le français) pendant lesquels le respect de la règle et des autres joueurs, l’acceptation de la défaite, sont autant de moments permettant de développer d’autres compétences que celles dites scolaires. À certains moments, je leur demande de choisir un élève de la table pour m’apporter le travail par exemple. Ils doivent alors non seulement se mettre d’accord mais aussi organiser le roulement afin qu’aucun élève ne soit lésé. Selon les dires de mon collègue, qui a une majorité de nos anciens élèves, il n’y a, cette année en CM1, aucune histoire entre enfants. Ce qu’il apprécie beaucoup, il y a certes pas mal de bavardages (comme tous les adultes qui s’entendent bien ils papotent, je plaide coupable), mais l’ambiance continue à être bonne entre eux. Il existe de nombreuses manières de mettre en place cette fraternité au sein d’une classe, une fraternité qui ne pourra qu’être bénéfique pour les progrès et la valorisation de chacune et chacun.
J’aimerais ensuite revenir sur les mots d’Alban concernant le « statut » attribué aux garçons. Même en 2023, ils sont encore élevés avec tout un tas de concepts qui n’ont pas beaucoup évolué. Je commencerai donc par en contredire quelques-uns. Tout d’abord, je constate que les pipelettes sont majoritairement des garçons et non des filles (comme on l’entend encore souvent), alors pourquoi ne pas les inciter à s’exprimer sur ce qu’ils ressentent afin d’avoir plus tard moins d’hommes qui ont du mal à parler des émotions qui les parcourent contrairement à une majorité de femmes. À nous aussi de favoriser les activités où la force « masculine » n’est pas la seule chose mise à l’honneur, de leur apprendre des jeux où ils peuvent jouer tous ensemble. Il y a 2 ans, quand j’ai expliqué à mes élèves ce qu’était la haute sensibilité, les garçons ont eu plus de mal à dire qu’ils étaient sensibles, de peur de la réaction des autres garçons, mais si on leur explique que la sensibilité est humaine, et non sexuée, peut-être qu’ils s’autoriseront plus à la montrer et non pas la cacher. Merci encore à Saverio Tomasella d’avoir choisi comme personnage principal de son album « La grande sensibilité d’Achille » un garçon car cela a beaucoup aidé mes élèves. Cela reste compliqué dans une classe pour un garçon s’il n’aime pas le foot, à nous de dédramatiser tout ça en discutant avec lui mais aussi en discutant en grand groupe. La discussion et la communication restent toujours le meilleur moyen d’éviter les situations problématiques et conflictuelles.
Je finirai aujourd’hui avec le conseil d’Alban : S’AIMER, S’ACCEPTER c’est la première étape pour rayonner, être le soleil de quelqu’un. Ceci est d’autant plus important pour les profs car ils passent leur journée avec des ados, des adultes en devenir. Comment leur apprendre à s’aimer, à avoir confiance en eux, si nous ne savons pas le faire nous-même pour nous-mêmes ? Comment leur apprendre à se connaître et s’accepter si nous ne nous sommes explorés nous-mêmes ? S’aimer pour mieux aimer les autres. À tous les profs sensibles, ne cachez plus votre sensibilité tout au fond de vous car vous la considérez comme une faiblesse, c’est une belle force, celle qui rend le monde plus beau.
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À très vite, prenez soin de vous, semez des graines
Alexandra
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